As told to T. Cole Rachel, 1918 words.
Tags: Art, Design, Process, Production, Inspiration.
Camille Baudelaire, graphiste, revient sur comment ouvrir la porte aux nouvelles tendances et aux technologies dans votre travail
Quand quelqu’un vous demande ce que vous faites, que répondez-vous ?
Ce n’est pas facile, parce qu’en France, vous savez, les gens aiment donner un nom et un seul à votre métier. Ils veulent un spécialiste, alors que moi, j’ai toujours travaillé entre les domaines, avec des compétences différentes. Je suis très à l’aise au carrefour entre différents univers.
Je suis d’abord graphiste, c’est ma structure et ma formation. Je suis particulièrement attirée par le papier – les livres et les posters – et toutes les techniques d’impression. Cela dit, je m’intéresse aussi aux nouveaux supports, aux nouvelles technologies, et je poursuis mon travail avec différents spécialistes lors d’expositions et de spectacles. Je collabore avec différents groupes, notamment des développeurs, des vidéastes, des gens qui font de la 3D, etc. J’essaie d’associer deux choses qui sont en apparence très différentes, le graphisme traditionnel et les nouvelles techniques médiatiques, pour créer quelque chose qui existe entre les deux.
Avez-vous une pratique créative individuelle qui se distingue de vos travaux commerciaux ?
Oui, j’ai mes clients et j’ai aussi mon travail et mes recherches personnels. En ce moment, je me forme à la 3D et aux logiciels, comme Cinema 4D. C’est très transformateur pour ma pratique, en fait. Je fais de plus en plus de motion design sur Instagram. Ma méthode de travail évolue aussi du côté des supports imprimés.
Je connais beaucoup de graphistes qui luttent avec ça. Avez-vous une équipe avec laquelle vous travaillez tout le temps ?
Oui, une équipe très réduite. Quelques jeunes en freelance. Pour les gros projets, je travaille aussi avec d’autres graphistes et concepteurs expérimentés. Je suis constamment à la recherche de nouvelles façons de travailler – que ce soit des techniques d’organisation ou des méthodes de travail en studio – afin de me libérer de l’espace mental pour d’autres choses.
Ici, en France, j’aime beaucoup travailler avec des clients du domaine culturel, c’est-à-dire les théâtres, les musées, les festivals, les institutions. Il y a des challenges, cela dit, à cause des politiques d’austérité, nous recevons beaucoup moins de soutien pour ce genre de chose. Gagner sa vie par ce type de travail n’a rien de facile, même si j’aime beaucoup ce que je fais. J’ai donc un autre équilibre à trouver, entre les clients du secteur public et les clients particuliers.
Est-ce plus difficile de travailler avec un client particulier qu’avec une institution culturelle ? Le processus créatif est-il différent ?
Ça dépend. À mon avis, les experts du domaine culturel bénéficient d’une meilleure visibilité de leurs projets, tout du moins en France.
Certains clients particuliers aussi. Il y en a qui ont des postes de management élevé, qui sont issus d’écoles d’ingénieur ou d’écoles de commerce et qui connaissent très bien le monde des affaires, mais pas celui du graphisme. Il est donc moins évident de travailler avec eux. Une partie des compétences de notre métier est de savoir exprimer le pourquoi d’une bonne idée, puis convaincre.
En France, une grande partie des grandes entreprises et des institutions culturelles fonctionnent à l’ancienne. Elles sont très traditionnelles. J’ai passé un peu de temps aux États-Unis et dans certains cas, j’ai constaté des différences. Les relations de travail étaient plus naturelles. J’ai passé plus de dix ans à apprendre à gérer ce genre de chose et aujourd’hui, je suis à l’aise, mais je pense aussi qu’il faudrait enseigner tout ça à l’école. Comment gérer un projet, comment négocier, comment fixer un prix.
Ce sont des choses si importantes à comprendre. Vous aurez beau faire un travail exceptionnel, si vous ne savez pas collaborer, si vous ne savez pas décrire vos idées ou parler avec vos clients, vous ne réussirez pas.
Je passe 40 % de mon temps à créer de l’énergie positive. Tout est question de comprendre les besoins du client, d’organiser le processus et tout lui expliquer. La communication représente presque la moitié de mon travail. Il y a aussi 20 % du temps passé sur les aspects administratifs. Ensuite, il y a la création. En termes de temps, cette partie est souvent assez réduite.
*Avez-vous une méthode de travail personnelle ? Ou des stratégies pour les moments où vous vous sentez coincée, ou quand il y a quelque chose qui cloche ?
Je passe beaucoup de temps sur Internet ou sur Instagram. Je regarde beaucoup de films. Je m’intéresse aux différents types d’images qui plaisent au public et ça me plaît. En général, je commence par dessiner, parce que j’ai des images dans la tête et il faut que je les fixe pour ne pas les oublier.
Autrement, je me mets à l’ordinateur, avec mes outils, et je découvre par l’expérimentation. Par exemple, quand j’ai commencé sur Cinema 4D, je n’y connaissais rien. Rien qu’en regardant des vidéos sur YouTube, vous savez, les tutos, et en essayant par moi-même, il m’arrive de faire naître de nouvelles formes soudainement. Le processus, c’est donc l’association du visionnage, de l’expérimentation, de l’impulsion et d’une vision de quelque chose.
De nombreux objets que je crée sont issus de mes expériences avec l’impression 3D, qui est un processus assez long. Au tout début, je travaillais longtemps avant d’arriver à un résultat. Vous attendez des heures que l’imprimante fasse son travail et c’est très long. En ce moment, je travaille avec du slime. C’est un projet très tangible avec un matériau très intéressant. Il n’y a rien de virtuel, je travaille avec mes mains. Cette alliance de la 3D et des matériaux physiques existe dans bon nombre de mes images. Ce thème m’a toujours intéressée, donc je continue mes recherches. Je suis tout le temps en train d’explorer de nouveaux outils.
Lorsque vous vivez dans une grande ville, vous êtes constamment bombardée par le graphisme. Le design est omniprésent. Nous absorbons des éléments graphiques sans même nous en apercevoir. Comment faites-vous pour éviter de vous laisser influencer par les tendances ?
À mon avis, il est presque impossible d’éviter les tendances. Nous vivons dans une société profondément influencée par le graphisme, jusque dans le fonctionnement des images sur les réseaux sociaux, notamment Instagram. C’est très puissant. Et les choses changent tout le temps. Les nouveaux posters que l’on voit dans le métro sont animés, par exemple. Il y a tant de choses à regarder, tout le temps.
Il est donc très difficile de ne pas se laisser influencer par toutes ces choses ou par notre façon de les appréhender, que ce soit à travers un écran d’ordinateur ou celui d’un téléphone. J’essaie donc d’accepter cet état de fait et de m’en servir. Les tendances, on peut les examiner et les faire imploser, en quelque sorte. Par exemple, je suis fascinée par une tendance Instagram qui est bizarrement satisfaisante : des vidéos de slime extrêmement répétitives, ou un objet qui s’enfonce dans un matériau souple pour le couper. C’est très relaxant à regarder. J’y pensais comme à un phénomène, une sorte de point de vue social.
On parle souvent de comment s’extraire de nos ordinateurs ou de nos téléphones et de la stimulation constante d’une journée devant l’écran. Là, vous découvrez que ces mêmes véhicules sont une source de relaxation qui nous aide à nous sentir mieux. Malgré tout le stress créé par les ordinateurs et la technologie, malgré l’incessante stimulation, nous nous servons de nos écrans et de la vidéo pour nous détendre. Je trouve ce phénomène très intéressant, je l’ai donc étudié de plus en plus pour essayer d’en faire quelque chose.
Je surfe, en fait. Je vois toutes ces nouvelles tendances, les grandes, les commerciales, celles qui sont à la mode, et je surfe dessus. Je m’en sers pour créer mes formes à moi, des formes nouvelles, des formes folles. Je pense que c’est ainsi que travaillent la plupart des artistes. Bien entendu, il y en aura toujours qui chercheront à œuvrer en dehors de ce cadre, mais personnellement, je trouverais ça très frustrant. À mon sens, plutôt que de repousser les tendances et la technologie, je préfère évoluer avec elles et m’en servir d’une manière ou d’une autre.
Par exemple, à une époque, j’étais vraiment contre Instagram. Je ne voyais que les mauvais côtés. J’ai fini par apprendre à jouer avec et à en faire un outil, qu’aujourd’hui je trouve très intéressant. J’aime prêter attention à ce qui se passe autour de moi et être en contact avec des jeunes, des gens qui finissent leurs études. J’ai le sentiment d’être entre deux générations d’artistes. Je travaille avec des gens qui ont de l’expérience et qui viennent d’un univers où tout est dessiné à la main. Ensuite, il y a les étudiants et les jeunes graphistes qui ne savent pas vraiment tenir un crayon. Je trouve qu’il est enrichissant d’avoir appris de la génération précédente et de la génération suivante. Il y a toujours quelque chose de nouveau à découvrir.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui souhaitent se constituer un portefeuille ou se lancer dans les métiers du design ?
On m’a conseillé de ne jamais arrêter de chercher ni d’apprendre. C’est cette mentalité qu’il faut avoir. Ne pas attendre que les gens vous disent quoi faire, quoi apprendre. Savoir se motiver soi-même. J’aime les gens qui ont ce type de personnalité, qui sont très curieux et qui sont autonomes vis-à-vis de leur façon d’assimiler les choses. De nos jours, Internet nous permet d’apprendre presque tout et n’importe quoi et je trouve cela merveilleux. Je dis aussi aux jeunes d’insister pour faire les choses correctement, de persévérer et d’être aussi indépendants que possible. Trouvez votre propre chemin. Ayez confiance en vous, votre pensée et vos sources d’inspiration. Ça aussi, c’est très, très important. Avoir un point de vue marqué et l’exprimer avec assurance. J’ai toujours apprécié cette qualité chez les gens avec qui je travaille et j’essaie en retour de leur offrir beaucoup de liberté. J’aime quand ils ont la possibilité de laisser parler leur intelligence et leur créativité et j’aime les idées fortes. L’audace, les idées fortes, ça tombe sous le sens, mais vous seriez surpris de voir combien de personnes ne se lancent pas.
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Mes outils : un stylo que j’aime ou un logiciel. Je suis capable de passer des heures à approfondir ma maîtrise de mes outils.
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Toutes les nouvelles tendances de la culture populaire Internet.
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Lire ou écouter des témoignages, que ce soit à travers l’art ou dans la vraie vie. La littérature m’inspire énormément, mais je peux aussi être très sensible au récit de quelqu’un, à une simple phrase qui m’est dite. J’attends qu’une technologie non encore inventée nous permette de tourner un film mentalement, rien qu’en observant ou en écoutant les gens et sans avoir besoin d’outils physiques.
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Être consciente des nouvelles matières et couleurs que je découvre tous les jours en arpentant le monde, que ce soit les paysages, les objets ou les architectures.
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Observer mon environnement en mouvement (en dansant, en marchant, à vélo, en voyage…)