March 19, 2018 -

As told to T. Cole Rachel, 1606 words.

Tags: Fashion, Multi-tasking, Inspiration, Process, French.

Christelle Kocher : trop à faire pour se sentir bloquée

D’après une conversation avec T. Cole Rachel
Traduction en Français par Angela Benoit
March 19, 2018
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Vous travaillez sur un éventail de projets en même temps – plusieurs collections pour Koché, votre travail pour Chanel. Comment structurez-vous vos journées pour éviter de perdre le nord ?

En ce qui me concerne, quand vous choisissez cette voie, vous ne vous arrêtez jamais. Je suis plutôt bien organisée, je respecte mon agenda et je termine mes projets dans les temps, mais je suis aussi très curieuse. J’essaie de garder l’esprit ouvert et d’être à l’écoute de mon environnement. Je tiens à saisir chaque instant qui se présente pour enrichir mon imagination et nourrir mes idées.

Donc, il suffit de faire attention. À quelque chose dans la rue, à ce que je lis, à ce que je vois au théâtre ou au cinéma, à ce que je trouve dans un livre ou à une œuvre d’art contemporain. Je ne m’arrête jamais de réfléchir à comment injecter ce que j’ai appris dans tout ce que j’entreprends. J’ai beaucoup de chance, la mode est un domaine très créatif, donc ces idées ont de quoi s’épanouir et prendre des formes nombreuses et différentes. J’ai beaucoup d’angles de travail : des drapés et des dessins. Une équipe qui fabrique les vêtements, une autre qui s’occupe de la broderie. Des choses comme ça. Je m’entoure de personnes qui ont énormément de talent. J’évolue dans le monde de la couture, mais aussi dans le streetwear.

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Ensuite, quand vous préparez une date, c’est autre chose : il y a beaucoup d’e-mails, les réseaux sociaux, les lookbooks, les images, etc. À chaque défilé, je travaille avec le personnel qui s’occupe du son, avec des gens qui viennent du milieu du théâtre ou de la musique électronique. Des photographes qui viennent de l’art contemporain. Tout cela est incroyablement dynamisant et intéressant. Je suis constamment à la recherche d’influences extérieures à l’univers de la mode, que je vais ensuite tenter d’injecter dans mon travail. Chaque jour, j’essaie de me perfectionner et d’explorer de nouvelles techniques, des choses plus modernes et plus jeunes, qui me font penser à l’art contemporain.

Après vos études, vous avez passé plus de dix ans dans le monde de la mode avant de créer votre label. Il y a des étudiants qui veulent se lancer dès la sortie de l’école. Pour vous, était-ce important d’acquérir de l’expérience concrète aux côtés d’autres professionnels avant de monter Koché ?

Absolument. J’ai bénéficié d’un certain nombre d’expériences dans différents rôles et pour lancer ma marque, j’ai attendu de me sentir prête. Votre marque représente la vision que vous avez de votre identité véritable, un nom qui vous projettera devant un public international. Vous allez la vouloir unique, personnelle et distinctive, avec un produit bien financé, vendu au bon prix, sur le bon marché. Il faut savoir diriger une équipe et être à la tête de l’opération au complet, de la création jusqu’à la production. Il faut maîtriser la mode, la finance, la production et la créativité. Il y a énormément choses à apprendre sur le processus au complet avant de tout maîtriser. Pour moi, avoir la possibilité d’évoluer dans ce monde, à différents postes, c’était la meilleure école.

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J’ai travaillé pour Armani, pour Chloé, pour Bottega Veneta. Je passais une semaine par mois à New York, ce qui m’a beaucoup apporté. J’étais aussi souvent à Paris. Je voyageais beaucoup. Aujourd’hui, je suis sur tellement de projets à la fois qu’on me dit « oh, c’est dingue ! » de temps à autre, mais je trouve qu’il est bon de passer d’un projet à l’autre dans mon esprit. Parfois, même souvent, vous avez besoin de vous concentrer, de travailler à un rythme soutenu, de finir votre projet puis de passer à la suite.

Les gens ont de drôles d’a priori sur le métier de styliste, mais quand vous dirigez votre label à vous, il faut vraiment savoir tout faire en même temps. Vous créez des vêtements, tout en vous occupant de la fabrication, des niveaux de prix et du chiffre d’affaires. Que vous le vouliez ou non, vous êtes femme d’affaires.

Oui, c’est certain. Tout s’organise avec de l’avance. Si vous travaillez sur une collection, vous prévoyez tout en amont, et vous aurez besoin de fonds, naturellement. Tous ces plannings et toute cette programmation sont dictés par vos besoins en financement, qu’il faut comprendre de manière approfondie.

Pour quelqu’un comme moi – je m’intéresse beaucoup à la créativité. C’est mon point fort, je crois. J’essaie de proposer un projet qui sera à la fois extraordinaire, personnel et singulier, puisé en premier lieu dans mon inventivité. Pourtant, je suis obligée de faire attention à mes ressources. L’aspect économique compte, mais la créativité est votre motivation. La vision qui vous fait agir.

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Au niveau le plus élémentaire, quand il s’agit d’élaborer un vêtement, à quoi ressemble votre processus créatif ? Par où commencez-vous ?

Souvent par des tissus, que je drape sur un mannequin. Je dessine beaucoup de patrons moi-même, mais l’impulsion derrière tout ça et l’idée dans son ensemble dépendront de ce qui m’inspire. Je me lance des défis en permanence. Je remets en cause les attentes. Dans certains cas, tout commence par une ambiance. Ou, comme je vous le disais, je vais me promener, je vais voir un film ou je lis un livre qui me donne un point de départ ou des idées qui s’associent entre elles. Parfois, c’est une silhouette ou des tissus. J’aime partir de zéro à chaque nouvelle collection et créer une situation imprégnée de nouveauté parfois légèrement déstabilisante, où j’ai l’impression de ne pas tout contrôler. Ça, ça m’inspire beaucoup plus de créativité.

Une collection, c’est un processus compliqué. Il doit bien y avoir des moments chaotiques, où les choses ne prennent pas forme ou n’ont aucun sens. Comment évitez-vous de paniquer quand vous êtes en plein dedans ?

Ça ne m’arrive jamais. J’avance. L’année dernière, j’ai travaillé sur beaucoup de collections au même moment. Je suis constamment dans les essayages, donc je n’ai pas le temps de paniquer. Je ne suis pas du genre à souffrir de blocages. Parce que je dirige une équipe, je n’ai pas le droit à l’incertitude. J’ai toujours été du style à avancer, à entretenir le mouvement et à aller de l’avant. Il y a bien des imprévus, mais la plupart sont triviaux. Je reste convaincue que tout va rentrer dans l’ordre. Ensuite, vous passez au projet suivant. Je suis toujours très optimiste, heureuse de faire ce que j’aime et consciente de la chance que j’ai. Je ne comprends pas les gens qui des plaignent de ne pas avoir d’idées ou que les choses ne vont pas dans leur sens. J’essaie de profiter de mon travail, de prendre soin de mon équipe, de faire confiance à mes instincts et de progresser.

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J’aime cette attitude. Le geste créatif est à la fois difficile et passionnant. Peut-être qu’en fin de compte, tout est dans l’art de ne pas compliquer les choses outre mesure.

Oui, c’est exactement ça. J’essaie d’éviter les problèmes au travail. Quand il se passe quelque chose, en général, je réponds : « OK, quel est l’obstacle du jour ? Essayons de le surmonter ! ». Inutile d’en faire tout un drame.

Il suffit parfois de poser une question pour réfléchir autrement : « Très bien, dites-moi, quelle solution créative allons-nous trouver ? ». C’est important, pour les problèmes avec les produits, les tissus, les aspects techniques, même les questions budgétaires. Dans d’autres cas, on prend du recul et on regarde les choses d’un autre œil. En général, j’évite de perdre mon temps avec des polémiques. Vous résolvez le problème et vous passez à la suite. La négativité n’a pas sa place dans un emploi du temps bien rempli. Vous n’avez pas le temps de rester coincée.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes stylistes qui finissent tout juste leurs études ?

Vous savez, c’est différent d’une personne à l’autre. C’est aussi très personnel. Plus que tout, suivez vos instincts. Je ne me permettrais pas de décourager quelqu’un qui finit tout juste ses études de lancer sa marque. Si vous êtes convaincu, foncez. Si vous avez le sentiment d’avoir besoin d’une première expérience de travail, foncez aussi. Apprenez à connaître vos goûts et soyez honnêtes envers vous-même. Il est fondamental de croire en votre projet et votre vision, mais aussi d’être prêt à acquérir les compétences indispensables, quoi qu’il arrive.

La mode ressemble à un tir à la corde entre le raffinement et la réinvention. Entre la nouveauté et le perfectionnement d’une forme classique. Quels sont vos sentiments à ce sujet ?

Oui, ces rivalités sont intéressantes. Quand vous êtes étudiant, tout du moins pour moi, vous rêvez de votre collection à vous, de quelque chose de totalement inédit, mais il faut commencer par fixer votre langage créatif et comprendre votre métier avant d’envisager de réinventer. Ces deux idées vont très bien ensemble, en fait. Vous développez votre réceptivité et votre langage, puis vous affinez, vous affinez encore, et encore. Un jour, vous mettrez le doigt sur l’essentiel et la pureté. Sur ce qui ne peut venir que de vous.

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  • Toujours : le parc des Buttes-Chaumont, dans l’Est parisien, très tôt le matin, alors que la ville se réveille.

  • En ce moment : Good Time des frères Safdie. La dernière scène m’a beaucoup émue.

  • Toujours : les tableaux de Bernard Frize. Des couleurs qui réveillent mes instincts de créatrice.

  • En ce moment : l’énergie crue de Shake070.

  • Toujours : ouvrir un livre et perdre la notion du temps.