February 28, 2018 -

As told to T. Cole Rachel, 1961 words.

Tags: Art, Beginnings, Adversity, Inspiration, Process, Multi-tasking.

Laure Flammarion sur les rôles de l’artiste et du commissaire d’exposition

D’après une conversation avec T. Cole Rachel
Traduction en Français par Angela Benoit
February 28, 2018
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Quand on vous demande ce que vous faites, quelle est la première chose que vous répondez ?

En général, je suis gênée, parce que je ne sais pas quoi répondre. En France, on aime vous mettre dans une case et vous y laisser. Si vous dites que vous faites beaucoup de choses, on pense automatiquement que vous ne faites rien correctement. C’est très, très français. Quand je vivais aux États-Unis, c’était très différent. Si je répondais que je travaillais sur cinq projets à la fois, les gens débordaient d’enthousiasme, ce qui me plaisait beaucoup. Leurs réactions me faisaient énormément de bien, parce que je souffrais depuis des années en France, où « soit vous êtes réalisatrice, soit productrice, soit commissaire d’expositions, mais vous ne pouvez pas tout faire à la fois. Il faut choisir. »

Surtout dans les institutions artistiques françaises. Votre médium, c’est votre médium. Vous ne pouvez pas être peintre, mais aussi prendre des photos, c’est l’un ou l’autre. De plus en plus de personnes se sentent libres d’utiliser différents médiums, mais on essaie encore de vous mettre dans une case. Donc, quand on me pose la question et que je ne suis pas très à l’aise, je réponds que je suis réalisatrice et créatrice.

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from the shoot for Somewhere to disappear, photo de Arnaud Uyttenhove

Le concept d’Honoré Visconti est très intéressant – un « label » artistique qui n’est ni une galerie ni une marque d’édition, tout en ayant la possibilité d’être l’une ou l’autre de ces choses. Il y a une grande liberté dans le fait de pouvoir accueillir et promouvoir des œuvres qui ne sont pas contraintes à un format particulier.

Les gens qui essaient de mettre les autres dans des cases, eh bien c’est la même chose avec les labels. On nous demande tout le temps ce que nous sommes. Nous ne sommes pas une galerie, donc nous ne représentons personne. Je ne signe pas de contrats avec les artistes. J’aime leur parler autant que possible de ce qu’ils font, mais je ne veux pas prendre la responsabilité de représenter quelqu’un. Je ne souhaite pas non plus être bloquée dans le même endroit. L’idée m’est venue il y a des années, alors que je vivais à New York. Une très bonne amie montrait des œuvres dans des galeries et des salles qui étaient vides temporairement, entre deux plus gros événements. L’espace était inoccupé. Il n’allait rien se passer pendant trois semaines. Cet espace était donc libre pendant une durée très courte. Mon amie y organisait ces expos très courtes, mais très cool, avec une grande énergie. Cette utilisation des aléas de la programmation et de la superficie des galeries était très intéressante.

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Des images de mon nouveau projet Les collectionneurs d’art, une série de portraits de collectionneurs d’art.

Donc, admettons qu’une galerie a un trou de deux semaines entre deux expositions. L’espace n’est pas utilisé – pas d’œuvres, pas d’installations. Je ne lui paie rien, mais si je vends une œuvre, la galerie touche une commission. De cette façon, elle ne perd pas d’argent, elle ne peut qu’en gagner. Ça ne lui coûte rien et elle ne dépense rien. Son nom n’apparaît même pas, j’y mets le mien. Je me sers simplement de l’espace. J’ai travaillé avec une galerie pendant près de deux ans sur de petites expositions de ce type et c’est devenu une belle tradition. De plus, beaucoup de personnes découvrent la galerie lors de mes projets et y retournent plus tard pour voir autre chose. J’aimerais organiser d’autres expositions de ce type à d’autres endroits, mais ce n’est pas toujours facile. Ma vision ne correspond pas toujours aux méthodes d’une galerie ou d’un musée, ce qui facilite les choses dans certains cas et les complique dans d’autres. Le mot « label » convient bien, car on m’a souvent insinué que sans mon espace à moi, je ne pouvais pas vraiment prétendre avoir une galerie, donc que suis-je ? Dire d’Honoré Visconti que c’est un label me semble logique, car le sens de ce mot varie d’une personne à l’autre, mais il correspond tout à fait à ce que je fais.

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Alec Soth

C’est intéressant de voir que de plus en plus de personnes forgent leur chemin en dehors des circuits traditionnels. L’existence d’autres approches viables pour exposer, montrer et vendre son œuvre est encourageante.

À mon avis, nous n’avons pas d’autre choix que d’explorer différentes façons de faire les choses. Quand j’ai commencé à fréquenter les galeries, il y a des années, j’étais gênée par tant de choses. Tout d’abord, les galeries n’étaient jamais accueillantes. Il y avait toujours quelqu’un à la porte, qui ne disait pas bonjour et qui ne vous regardait même pas. Je me rendais dans une galerie et l’expérience me restait en travers de la gorge. Je repartais sans avoir compris ce que j’avais vu, avec le sentiment d’être bête et frustrée. Ce n’était pas logique, car beaucoup de mes amis artistes étaient des gens chaleureux qui avaient envie de montrer et de faire comprendre leurs travaux, mais ce fossé se creusait entre eux et le public. L’expérience « galerie » s’interposait.

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Exposition de groupe Matin, midi et soir. Le jour de l’ouverture. Photo de Cédric Bolusset.

Je ne suis pas conseillère, mais je suis… quand vous présentez les gens les uns aux autres, comment ça s’appelle ? Entremetteuse ! C’est ça, je suis plutôt entremetteuse, en fait. J’adore provoquer les rencontres. Je conseille les gens sur leurs premiers achats. J’aide le collectionneur novice à créer un lien privilégié avec l’artiste. Je pense que dans certains cas, les jeunes collectionneurs qui ont envie de rencontrer des artistes ne savent pas vers qui se tourner. Sans dire de mal des galeries – j’en connais beaucoup qui sont géniales – mais elles ne savent pas toujours établir cette relation. Ce n’est pas toujours de leur faute. Aujourd’hui, les galeries sont confrontées à tant de difficultés, elles ont du mal à payer le loyer et à vendre les œuvres. Tous ces coûts, toute cette pression. Elles n’ont pas toujours le temps d’échanger avec de simples curieux qui ne sont pas collectionneurs, mais qui pourraient le devenir. Lors de nos expositions, j’insiste pour qu’on salue systématiquement le public. Si la personne a envie de vous parler, vous lui parlez… sinon, pas besoin d’insister. Mais vous dites bonjour. Il faut que le public se sente bien accueilli.

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Exposition de groupe Les adoptés. Oeuvres de Thierry Struvay. Photo de Grégoire Eloy.

J’ai entendu parler de vous pour la première fois quand j’ai vu votre film sur le musicien Gonzalez. Ces courts-métrages vous aident-ils à exprimer vos sentiments sur un thème précis ? Quel est le moteur de votre carrière de réalisatrice?

C’est drôle, en ce moment, j’ai du mal, parce que j’ai vraiment envie de continuer cette série sur les collectionneurs d’art, mais je suis en panne de financement. Les gens se passionnent pour le projet, mais personne ne souhaite m’aider. Ce problème me suit depuis des années. Votre idée séduit, mais dès qu’il s’agit de trouver les fonds dont vous avez besoin, les choses se compliquent. Au final, il n’y a jamais assez d’argent, mais je persiste. Je suis très curieuse et j’ai un grand respect pour les artistes et pour les gens – le point de départ de tous mes projets. Souvent, je ne me pose pas tant de questions sur mes motivations. C’est un besoin, c’est tout.

Donc je me lance dans ces projets sans me poser trop de questions et puis, soudain, je me rends compte que je suis en plein dedans. Les difficultés se manifestent. Le manque d’argent. Le temps et l’énergie que vous consommez. Vous vous questionnez souvent : « pourquoi suis-je là ? ». Pour moi, il n’y a qu’une réponse : je suis là parce que je veux être là. Tant que le processus est en cours, vous ne savez pas toujours ce que vous êtes en train d’apprendre – vous comprendrez des années plus tard. Cela peut sembler idiot, mais il m’arrive parfois de mettre des années à voir et à assimiler ce que j’ai tiré d’une expérience. Je suis tellement prise par le processus créatif et je me bats tellement que je n’ai pas le temps d’intérioriser. Mon seul objectif est de franchir la ligne d’arrivée, de finir le film, de trouver les fonds.

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Des images de mon nouveau projet Les collectionneurs d’art, une série de portraits de collectionneurs d’art

Quand tout est fini, je prends une année pour me remettre. C’est là que je vois ce que j’ai appris sur moi-même et ce que j’ai traversé, mais sur chacun de mes tournages, je n’ai pensé qu’à l’artiste. J’ai mûri, donc peut-être qu’aujourd’hui, je tournerais différemment. Quand vous êtes jeune, vous ne savez pas vous protéger. Vous vous lancez. Je me donnais à 100 % et je m’oubliais. J’étais en quelque sorte obsédée par mon sujet et mon projet.

Une compétence utile qui se maîtrise avec l’âge. Cet équilibre – entre se lancer à fond dans des projets, tout en sachant se protéger et éviter de s’épuiser – il faut savoir le trouver. Son importance grandit avec les années.

Oui, mais en même temps, je pense que si vous vous protégez trop, vous ne faites rien. Vous n’apprenez rien. Vous ne risquez rien. Les films sur les artistes rapportent peu et consomment énormément d’énergie. Il y a beaucoup de stress et de fatigue. Si vous voulez vraiment vous protéger, il ne vous reste plus qu’à prendre vos jambes à votre cou. Vous voyez ce que je veux dire ? À mon avis, il y a un équilibre à trouver, mais ce n’est pas simple.

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Exposition de groupe Matin, midi et soir. Un formulaire d’offre d’échange. Photo de from Cédric Bolusset

L’essentiel pour Laure Flammarion :

Laura Flammarion recommends :

  • La mauvaise nouvelle : contrairement à ce qu’on pourrait croire, dans les moments difficiles, ce n’est pas plus facile pour les autres, tout le monde lutte !

  • La bonne : c’est très naïf de ma part, mais je reste convaincue que le travail fait toute la différence. Le travail, c’est du temps. Comme le vin – les meilleures œuvres demandent du temps !

  • Personne n’est hors d’atteinte. Si vous voulez vraiment travailler avec quelqu’un, trouvez TOUJOURS le moyen de le lui dire. Vous pourriez vous retrouver à collaborer avec votre
    héros !

  • Restez curieux. Nous manquons tous de temps, mais il faut continuer de voir des expositions, de lire des livres, de voir des fils et, plus que tout, rencontrer des gens. En cas de manque d’inspiration, revenez aux fondamentaux pour une bouffée d’air frais : une exposition (par Sophie Calle), un passage en librairie (Ampersand ou Yvon Lambert) ou un musée comme Le Bal à Paris ou le Met à NYC.

  • Quand vous avez une idée ou une envie : ne perdez pas trop de temps à hésiter, lancez-vous. Il n’y a rien de pire que de voir quelqu’un d’autre porter une idée qui vous a échappé. L’AVENIR APPARTIENT AUX CRÉATIFS.